Mon avant première avec Albert Dupontel

LA CHRONIQUE DE MAÏLIS JEUNESSE

Cigale Mag n° 44
Juin 2012

 

© Nicolas Schiffmacher

© Nicolas Schiffmacher

Dans Le Grand Soir, de Benoît Delépine et Gustave Kervern – échappés de Groland – Albert Dupontel fait une révolution à sa manière, il a une crête, il a tatoué DEAD sur son front. Portrait non conformiste d’un acteur bien vivant ! 

Comment définiriez-vous votre personnage de Jean-Pierre Bonzini dans Le Grand Soir ?
C’est un personnage libéré de lui-même grâce à la punk attitude de son frère. Il essaie désespérément de s’insérer socialement, en fonction des valeurs qu’il croit être les bonnes. La société le rejette, et après un court moment de déprime, il va remonter à la surface de l’existence et de son sentiment de liberté… c’est compliqué ce que je raconte ! (rires) Il est en prison sans le savoir et il va se libérer grâce à son frère qui apparemment, au début du film, a socialement échoué.

Ce n’est pas du tout votre première collaboration avec les réalisateurs Gustave Kervern et Benoît Delépine ?
Non, j’ai fait deux caméos avant (dans Aavida et Louise-Michel). J’ai pu largement apprécier leur façon de travailler, leur attitude, le parfum d’une grosse liberté sur le tournage. Quand on parlait de faire tout un film ensemble, j’ai dit aucun problème, je ne savais même pas de quoi cela parlait, j’ai donné un accord de principe. Je suis très admiratif de ce qu’ils font. Ce sont des gens très inspirés qui déclinent leur réflexion sur le monde dans des films qui sont des constats sociaux à la fois terribles et très drôles.

Et d’avoir deux directions sur un film, comment c’est en tant qu’interprète ?
Ils sont très unis, faut pas croire ! Ils rigolent et font la gueule pour les mêmes trucs ; ils sont « monocéphales » même à deux ! Après, on sent la densité de leur travail parce qu’ils se renvoient la balle. Il n’y avait qu’une personne sur ce film !

 

© Theo-Synchro-X

© Theo-Synchro-X
Et du coup, est-ce que c’est ça être punk, être plus proche de soi, plus honnête avec soi-même ?
Punk, c’est un alibi intellectuel. Comment faire le charlot au XXe siècle ? Comment faire le Diogène de l’Antiquité, puisque c’est la référence ? En punk ! C’est un emblème. J’ai pas retenu grand-chose du mouvement punk à part des sons très sourds. J’avais 15 ans à cette époque : je me rappelle qu’ils se perçaient le nez avec des épingles à nourrice, et les Sex pistols disaient « on va tuer la Reine ! », donc ça m’échappait un peu… En même temps, c’est bien trouvé. Le punk à chien fait partie du décor urbain. Ils l’ont bien chargé des valeurs qui sont les leurs. Le symbole est très fort.La famille est au coeur de l’histoire. Est-ce que pour vous quand on trouve sa place au sein de la famille, on trouve sa place au sein de la société ?
C’était tout le sujet de Bernie, qui a plus de quinze ans maintenant ou Enfermés dehors, c’est pareil. C’est au coeur de tout, comment on débute dans la vie, comment on continue, comment on finit, c’est très important. Mon prochain film parle aussi de ça. La tentative de faire une famille ou l’échec de celle-ci. Et dans le Grand Soir, cette famille un peu faite de bric et de broc, elle va exploser à un moment donné et se reformer encore plus forte qu’avant. C’est évident que les premiers complices qu’on a quand on naît quelque part, c’est sa propre famille. Et en l’occurrence ici, c’est une famille qui est perdue donc c’est plutôt mal parti (rires) !

 

© Theo-Synchro-X

© Theo-Synchro-X
Il y a une scène où vous parlez en même temps – avec le personnage de Benoît Poelvoorde – à votre papa dans l’histoire, c’est improvisé ou c’était écrit ?
C’est totalement improvisé ! Ils avaient écrit le début. Le matin même, ils ont décrété que ce n’était pas bon et qu’on allait faire autre chose. On a fait des impros, on attendait qu’ils disent « Coupez » quand même ! C’est très long, et il y a même un moment avec Poelvoorde où on se guette, on se dit, « si t’arrêtes, t’es un lâche ! ». Sur ce coup-là, je l’ai eu ! On s’est beaucoup amusé.Et quel casting : Areski Belkacem, Brigitte Fontaine, Benoît Poelvoorde, quelle famille formidable. Est-ce que c’est celle que vous auriez aimé avoir ?
Ah non certainement pas ! (rires). Je suis content de mes parents qui étaient des gens sensés, calmes, responsables, érudits, ce qui m’a permis de fomenter ma révolte en toute quiétude. Ce casting est improbable, notamment Brigitte, qui est très spectaculaire. Ce qu’ils ont réussi à faire avec elle, c’est prodigieux : ils ont su prendre dans sa nature féconde et invraisemblable. Quand je l’ai vue dans le film, je l’ai trouvée extraordinaire.

Dans le film, vous faites valser des chariots, est-ce que vous avez eu des plaintes de la société de protection des caddies ?
Non (rires). On n’a eu de plainte de personne. On aurait pu avoir des plaintes contre les chiens, parce que le chien de Billy a mordu tout le monde sur le plateau sauf moi. Donc on aurait pu mentionner à la fin, « aucun animal n’a été maltraité par contre l’animal a maltraité tout le monde. » En plus, on a eu le bénéfice, grâce au réseau Grolandais – qui n’a d’équivalent que la franc-maçonnerie – d’avoir la zone commerciale de Bègles et ses enseignes sans problème.

 

© Nicolas Schiffmacher

© Nicolas Schiffmacher
Et vous parliez de votre prochain film ?
Oui, je suis en retard. J’aurais dû tourner il y a quelques mois, mais normalement je tourne à l’automne. C’est l’histoire d’une femme qui tombe enceinte et elle ne sait pas de qui, ce qui est très embêtant car elle n’est pas du tout libertine : elle est juge d’instruction…J’ai amené une petite paire de ciseaux. Est-ce que vous voulez bien me faire une crête ?
(éclats de rire) « T’as fricoté avec un Allemand, c’est ça la vérité ! »

 

La minute punk

Quelle est la chose la plus punk que vous ayez dite ?
– Je t’aime.
Le bar le plus punk que vous fréquentez dans Paris ?
– Je vis à la campagne, j’ai pas de bar punk. Vraiment aucun, et je bois pas donc…
Un parking de prédilection ?
– Là où toutes les filles ont été d’accord (rires).
Une zone commerciale inoubliable ?
– Là où j’ai réussi à piquer sans me faire piquer…
Un restau où les patates sont délicieuses ?
– La pataterie du Grand Soir.
Vaut mieux être punk que…
– Mort ! (rires)
Un livre que vous aimez, dans le même esprit que Le Grand Soir ?
– Bonne question ! Le bouquin de John Kennedy Toole, tu sais, La Conjuration des imbéciles. Aussi jubilatoire ! Il y a Mort à crédit et Guignol’s Band de Céline, même si ça fait un peu sérieux.
En musique, qu’est-ce qui vous met dans le même état que la scène de démission ?
– N’importe quel morceau joué par Slash ou Led Zeppelin. Ça marche toujours !
Est-ce que vous vous feriez une crête dans la vraie vie ?
– Non. Je n’ai aucune envie de me faire remarquer dans l’existence ! Devant ou derrière une caméra oui, mais dans la vie plus je rase les murs, plus je suis content !