L’art et la manière

Jean-Luc Seigneur

Cigale Mag n° 46
Juin 2013


C’est dans la salle d’examens de l’École Estienne, autour des tables en marbre sorties des ateliers Gustave Eiffel, et sous les affiches « Poussez un coup de gueule ! » que Jean-Luc Seigneur revient sur son parcours. L’homme, quasiment sexagénaire, porte cette juvénilité propre à la génération 68 dont il est issu. « Je suis entré à l’École Estienne en 1970 à l’âge de 15 ans, c’était possible à l’époque. Et j’y suis resté 7 ans ; avant d’y revenir comme professeur en 2004. Avant de trouver cette voie, je voulais être écrivain ou photographe, en tout cas artiste ou « bohême ». Nous étions dans le sillage de mai 68 et comme tous les jeunes gens de ma génération, je rêvais d’une vie consacrée à l’art, aux voyages et à la liberté loin de la banlieue où je vivais avec mes parents… à qui je dois tout. Et surtout la liberté de mes choix. »
40 ans après, Jean-Luc Seigneur n’a guère changé. L’éternel adolescent est un des doreurs les plus prisés sur la place de Paris, c’est-à-dire dans le monde. Là où d’autres ont trahi tous leurs idéaux de jeunesse, lui est demeuré fidèle à cette adolescence féconde et aventureuse, quoique placée sous la férule de ses maîtres, notamment Jacques Bronstun. « Je voulais être mon propre patron et, il faut bien dire que les années 70 nous ont insufflé la conviction que tout était possible. »
En 1979, il ouvre son premier atelier et se consacre à des travaux pour la papeterie de correspondance et de cartonnages de luxe. Très vite, il est remarqué pour son habileté de dessinateur et de modeleur et s’impose dans le milieu très fermé des imprimeurs graveurs comme un spécialiste du gaufrage et du fer à dorer.
Durant les années 80 et 90, de grandes maisons du luxe parisien lui confieront leurs travaux prestigieux, comme le portrait gaufré du couturier Yves Saint Laurent, des décors de cartonnage pour les parfums de Guerlain ou de Kenzo, les cartes de voeux du couturier Louis Féraud. L’éditeur Sony Music lui demandera de réaliser un étui collector pour le C.D. « Rouge »du compositeur interprète Jean-Jacques Goldman. « J’ai gagné beaucoup d’argent durant cette période ; j’avais 7 salariés et des commandes somptuaires. J’ai acheté une maison à Neuilly Plaisance où ma famille et moi avons vécu confortablement. Et puis, ensuite, cela a été la dégringolade à cause des taux d’imposition. Mais, globalement, tout est toujours allé très bien. Et puis, l’argent – ce mal nécessaire – n’a jamais été le moteur de ma vie. »


La modestie de Jean-Luc Seigneur, mise à mal par l’exercice de l’interview égocentrée, n’exclut pas tous ces artistes associés qu’il a rencontrés et admirés – et, notamment notre cher Gérard Desquand – avec qui il fera un bout de chemin au sein d’une « coopérative ».
Rien de soixante-huitard dans le concept, mais plutôt une concentration de talents au sein d’une même nébuleuse. Il y aura également le voyage décisif à New York, à la demande de la grande prêtresse de la papeterie de luxe, qui lui commandera des travaux pour la correspondance de la jet-set locale. « C’était une charmante dame, très « East Coast » qui m’a fait travailler pour le club très fermé de la 7e avenue » l’avenue Foch d’Outre Atlantique. Cela fait longtemps que la réputation de Jean-Luc se joue des frontières. Pour preuve : en septembre 2001 (pendant les attentats de New York !) à l’occasion de l’exposition « Objets précieux, objets curieux » des Grands Ateliers de France, organisée par la fondation Maurice et Noémie de Rothschild dans le château de Prégny en Suisse, Jean-Luc Seigneur présente ses premières estampes gaufrées et colorées. Le succès de cette tentative artistique l’engage à multiplier les expositions et à diffuser ses oeuvres non seulement en France, mais aussi aux États-Unis, en Russie. Ses thèmes de prédilection empruntent au monde animal et végétal qu’il représente avec les textures et les couleurs étonnantes que permettent le gaufrage et le marquage à chaud.
Aujourd’hui, le disciple de jadis a rejoint ses maîtres dont le souvenir et l’enseignement hantent l’École Estienne. Il en sillonne les longs couloirs qu’il connaît par coeur, se félicite d’apporter à la nouvelle génération ce que ses prédécesseurs lui ont appris et partage avec ses amis profs et artistes cette bonne humeur et cette jubilation de créer et d’enseigner. Et puis, bon sang ne saurait mentir, puisque l’un de ses fils, musicien de talent, est aujourd’hui ébéniste à la Nouvelle Orléans…

Ecole Estienne,
18 Boulevard Auguste Blanqui
75013 Paris

01 55 43 47 47

jeanluc-seigneur.com