Plus qu’un sport, un art

ESCRIME

Cigale Mag N° 28
Juillet 2009


Créée en 1886, la salle d’armes de la rue Gît-le-Coeur, à deux pas de Saint-Michel, est une des plus belles et des plus anciennes de France. Sa particularité : un sport pratiqué à l’ancienne. Maître Jean-Pierre Pinel de La Taule est l’un des rares à enseigner les trois armes : fleuret, sabre et épée. Exceptionnel.

Sur un mur défraîchi, la cuirasse de l’ancien propriétaire, le général franco-prussien Alexandre Coudurier, côtoie de vieilles rapières, des masques de fer, un vieux tableau de bois où les scores sont comptabilisés. Tout est resté intact depuis sa création. Et personne ne penserait à se plaindre de ce décor de film de cape et d’épée. Au contraire, tous vantent le côté convivial et désuet des lieux : « Je viens aussi bien pour l’ambiance que pour le sport, confie Clément, 27 ans, conservateur de bibliothèque. Nous formons une petite famille qui a plaisir à se retrouver chaque semaine. De plus, nous pratiquons de la belle escrime où la compétition est exclue. Le fleuret n’est pas équipé d’électricité, nous faisons confiance à l’adversaire quand il est touché ».

UN ENSEIGNEMENT AMBIDEXTRE
Autre particularité de Maître Pinel de La Taule : les trois armes sont enseignées de la main gauche et de la droite « pour éviter une musculation dissymétrique, précise-t-il. 80 % des salles n’enseignent que le fleuret, c’est moins violent et plus simple ». Et de regretter le mal d’aujourd’hui : baisser les bras devant la difficulté. « À force d’aller au plus simple, on ne fait plus rien », déplore-t-il. Longue silhouette aristocratique, accent gascon révélant ses origines, Me Pinel de La Taule, ancien professeur d’éducation physique, a réalisé son rêve d’enfant en achetant la salle, en 1970, avec un associé : « J’ai eu le coup de foudre ». On peut le comprendre. Cette salle de 60 m2, composée de six pistes de sept mètres de long couvertes de liège, a un charme fou.


UN SPORT INTENSE
« Battez, coupez, dégagez, feinte de coup droit. » Habillé d’un plastron de cuir, Me Pinel de La Taule initie un cadet tout de blanc vêtu, pendant que d’autres discutent près de la fenêtre et se remettent de la séance qui ne dure pourtant pas plus de dix minutes : « C’est un sport très intense, admet le maître qui ne se départ jamais de son flegme. Les genoux, rarement sollicités dans la vie quotidienne, fatiguent vite. Il faut près de dix ans d’entraînement avant de maîtriser ce sport qui demande agilité, vitesse et précision. La tenue d’un fleuret n’est pas naturelle. Il faut faire ses gammes pendant six mois avant son premier assaut ». Et de pointer, encore une fois, les maux d’aujourd’hui : « Avant la guerre de 1914, l’escrime était un art et un sport, maintenant ce n’est plus qu’un sport, soupire le maître. On a nivelé le sens de l’art. On touche et peu importe les moyens. »

LA BEAUTÉ DU GESTE
Le doyen des cadets opine du chef. Arnold Rosin, 88 ans, mémoire de la salle d’armes, vient ici en voisin depuis vingt-et-un ans : « La beauté et l’élégance du geste ont beaucoup d’importance pour nous. Nous avons autant de plaisir à perdre après une bonne touche, qu’à toucher quelqu’un. » Une bonne leçon de savoir-vivre qu’apprécie également Michel Christiansen, chercheur au CNRS, fidèle de cette salle depuis trente ans : « L’escrime est un excellent exutoire contre l’agressivité. »


FINES LAMES
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à pratiquer ce sport. On est passé de 10 % des effectifs dans les années 70 à 40 % actuellement. Cécile, ophtalmo, est l’une des rares à pratiquer l’épée et le fleuret depuis cinq ans « C’est une excellente détente morale et psychologique. De plus, pour garder la ligne, c’est le sport idéal. »
Comme les hommes, elle vante l’ambiance sympathique et hors du temps de la salle d’armes, avec toutefois un bémol. Elle juge le confort du vestiaire des femmes bien sommaire par rapport à celui des hommes… Un pour tous, tous pour un, qui a dit tous pour une ?…

Salle d’Armes
6, rue Gît-le-Coeur – VIe
Tél : 01 43 54 49 97
Horaires : Tous les soirs de 17h à 21h sauf le dimanche

Tarifs : 690 € par an pour deux
entraînements par semaine (cette salle privée ne touche aucune subvention)
Nombre d’inscriptions : 80